Dans l’aménagement des quartiers Citadelle, Starlette, Coop et Port du Rhin, à Strasbourg, la valorisation des sols est au cœur de la mise en œuvre d’une démarche d’économie circulaire d’une ampleur inédite.
L’objectif : traiter et recycler, sur place, les 266 000 m3 de terres contaminées (rendues stériles ou polluées) par le passé industriel du site, sans en évacuer ni en apporter de l’extérieur.
Baptisée Valozac, cette opération s’appuie sur l’étude des caractéristiques du territoire et de ses sols, mettant l’espace et le temps du projet urbain à profit.
Par la nature même du projet urbain des Deux-Rives, la thématique du traitement des sols est primordiale. En effet, pour éviter l’étalement urbain, le projet se déploie sur d’anciennes friches industrialo-portuaires. La question de l’état et de la pollution des sols, et de leur traitement pour qu’ils soient compatibles avec leur usage futur, est au centre des réflexions de l’aménageur. La mise en état sanitaire est une obligation légale et contrôlée, à laquelle la SPL Deux Rives a souhaité donner une ambition écologique inédite.
Ainsi, depuis 2019, la SPL Deux-Rives, en lien avec le bureau d’études des sols Archimed Environnement associé à Sol Paysage et Géotec, pilote le processus de traitement des sols en cherchant à minimiser son impact environnemental.
Une analyse fructueuse des sols…
Les terres des 4 quartiers nécessitent un traitement particulier : polluées ponctuellement en surface par des résidus d’hydrocarbures et de charbon dus aux activités industrielles passées, elles doivent être rendues compatibles avec leurs futurs usages (logements, bureaux, équipements publics, …). Mais ce n’est pas tout ! les quelques 500 sondages et 1 000 analyses réalisés sur tout le territoire, qui se déploie du Parc de la Citadelle aux berges du Rhin, ont permis de découvrir une ressource inespérée. 2 à 3 mètres sous la surface, l’étude minutieuse des sols a révélé des terres saines (non-polluées), mais stériles car trop longtemps privées de végétation, d’air et de la lumière nécessaires au développement de leur vie microbienne. En complément, des résidus d’anciennes infrastructures et de remblais (mélange de sable et de gravier) se trouvaient mélangés aux terres du site, gênant leur utilisation.
Une réflexion globale, à l’échelle du territoire, a permis d’asseoir la faisabilité de l’extraction des terres pour les traiter et les valoriser (la profondeur maximale de l’excavation s’arrêtant au-dessus de la nappe phréatique, entre 3 et 6 m selon les quartiers).
Le dispositif établi permet de traiter, fertiliser et concasser sur site, 266 000 m3 de terres en vue de les réemployer sur place. Cela permet de rendre les sols sains et fertiles pour construire les bâtiments et planter les espaces paysagers du quartier, le tout sans aller ponctionner la campagne de ses terres saines et de les transporter en camions jusqu’au projet, comme c’est encore trop souvent le cas dans les projets urbains. Ainsi, pour 266 000 m3 de terres recyclées in situ, à raison d’environ 10m3 de terres par camion, ce sont 26 000 camions benne qui n’auront pas à circuler dans la plaine d’Alsace !
…menant à leur valorisation (et pas dépollution) : 4 méthodes, 3 plateformes
Entre les terres polluées, les terres saines mais stériles, et les matériaux issus des activités humaines -tels que les restes de béton ou gravier, appelés matériaux anthropiques -, les terres analysées et triées font l’objet de traitements différenciés. Pour cela, 3 plateformes ont été installées sur 2 des 4 quartiers concernés par la réhabilitation des sols : Citadelle et Starlette, de part et d’autre du Bassin Vauban. Si de tels chantiers existent déjà ailleurs, c’est la première fois en France que cohabitent trois techniques de valorisation des sols sur le même territoire, à savoir :
- la mise en conformité sanitaire (qui se décline en deux méthodes),
- le traitement agronomique et
- le traitement géotechnique.
Si une telle installation est possible, c’est grâce à un territoire d’action de 74 ha et au temps dont dispose la SPL Deux-Rives pour mener à bien cette exigeante démarche.
On parle de valorisation et non de dépollution car les terres sont traitées de différente manière et que le but final est le réemploi sur site.
Les terres polluées adaptées à leur usage futur
Les moyens déployés pour traiter les terres polluées sont conséquents et adaptés aux types de pollution révélés par la phase de sondages. La mise en conformité sanitaire concerne 92 000 m3 de terres, dont 45 000 m3 ont déjà été traités, et s’effectue principalement sur Citadelle.
Pour partie acheminées par péniches, les terres sont disposées en piles et recouvertes d’une couche de béton hermétique pour être dépolluées par désorption thermique. Ce procédé dure environ 3 mois et consiste à volatiliser les polluants (hydrocarbures principalement) contenus dans la terre en la faisant chauffer à 300°C. Tout se passe dans des tubes percés traversant les piles de terres dans toute leur largeur (chaque pile contient environ 1 500 m3 de terre soit 3 000 tonnes.
À l’entrée des tubes, des brûleurs alimentés au gaz de ville chauffent la terre, le gaz produit par cette combustion est ensuite récupéré et rebrûlé, jusqu’à la combustion complète des polluants. C’est le processus dit du reburn (re-combustion), une technique rarement mise en œuvre, alors qu’elle est pourtant moins énergivore et qu’elle permet d’éviter l’utilisation de filtres à charbon actif (qui ne servent ainsi que comme sécurité supplémentaire, en complément du dispositif de reburn). L’innocuité (c’est-à-dire la nuisibilité) des éléments relâchés dans l’air – de la vapeur d’eau et du CO2 issus de la désorption – est contrôlée à chaque instant.
Par ailleurs, la démarche de mise en état sanitaire des sols met en œuvre une autre technique innovante : la stabilisation. Cette technique est déployée au nord du quartier Starlette et concerne des terres touchées par une typologie spécifique de pollution. Un additif breveté est mélangé aux terres afin de briser les molécules polluantes et de les piéger. Le processus de stabilisation permet la formation d’un « sarcophage à échelle moléculaire », évitant l’évaporation et l’infiltration des polluants.
Par principe de précaution, les terres dépolluées issues de la mise en état sanitaire – par désorption comme par stabilisation – servent exclusivement de remblais généraux et de base pour la construction de voiries et non de bâtiments « sensibles » (logements, écoles), quand bien même les analyses et les contrôles pour s’assurer de leur innocuité sont systématiques.
Recréer la vie dans des terres stériles
Au nord de Starlette, les terres saines, mais stériles car extraites des profondeurs du sol, sont fertilisées sur la plateforme agronomique pour pouvoir être réutilisées comme base de plantation. Un double processus est mis en place pour que se développe une vie microbienne normale : l’enrichissement des tas de terres stériles par du compost (un mélange terre-compost de 30 à 40cm d’épaisseur est réparti sur la cime des tas de terre), puis le semis de plantes (avoine, trèfles, vesce de printemps, phacélie, radis) qui, grâce à leur réseau de racines, vont aérer la terre et y apporter la faune nécessaire à leur régénération (notamment les vers de terre). Concrètement, les mélanges matières organiques-semences sont déposés à la surface des piles et drainés progressivement par la pluie : c’est, sans surprise, le procédé de valorisation le plus long (6 mois !). Il concerne 90 000 m3 de terres, dont 50 000 sont en cours de traitement, qui, une fois fertilisées, sont entièrement utilisées dans l’aménagement des espaces verts et publics. Les premiers vers de terre ont été recensés en Avril 2021 : c’est le meilleur indicateur de fertilité pour ces sols !
La deuxième vie des matériaux anthropiques
Plus au sud, toujours sur Starlette, la plateforme géotechnique sert à valoriser les composants non-organiques. On y trouve autant des résidus d’infrastructures que des remblais non-pollués (mélange de sable et de graviers), valorisables grâce à des machines à cribler et à concasser. Ce procédé concerne 84 000 m3 de matériaux dont 60 000 m3 ont d’ores et déjà été criblés ou concassés.
Le criblage permet de trier des amas de matériaux de différentes tailles, en séparant les plus grands éléments des plus petits par granulométrie. Cette technique s’apparente à l’utilisation d’un tamis mécanique géant.
Le concassage réduit en grains plus ou moins fins les matériaux agglomérés comme le béton. Les produits les plus fins de ces opérations servent à l’enrobage de routes, quand les plus grossiers sont réemployés en couches d’assises pour les voiries (les couches d’assises permettent aux voiries de résister au tassement provoqué par le poids et le passage des véhicules)
Une démarche circulaire au service d’un urbanisme plus responsable
La combinaison des méthodes agronomique, géotechnique et de mise en état sanitaire des sols apporte une solution à la recherche de l’équilibre entre besoins et ressources en terres.
L’objectif de la démarche de valorisation des sols est de tendre vers une auto-suffisance du projet en matériaux d’aménagement des espaces verts et publics. Le remblai notamment, utilisé pour créer des voiries, rehausser des niveaux de sols ou encore créer des nivellements, est au cœur de tout aménagement urbain. Souvent source de problèmes en raison de son coût et de son approvisionnement, il est ici disponible en abondance et directement sur site grâce à la démarche Valozac. Toutes les terres excavées sur le site servent à créer et modeler les différents terrains aménagés. Elle est d’autant plus vertueuse qu’elle s’appuie sur la proximité des chantiers avec l’eau. Un tiers des terres excavées, soit 90 000 m3, est acheminé par péniche sur une plateforme de gestion, chaque péniche pouvant contenir l’équivalent de 20 camions, évitant la circulation de près de 8 000 camions sur 3 ans.
En évitant l’étalement urbain et le grignotage des terres agricoles, et en traitant, recyclant et refertilisant les terres sur site, le projet Deux-Rives vise à s’inscrire dans un urbanisme porteur de transition écologique.